Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

12.12.2012

L'épingle

Lorsqu'un petit enfant crie et ne veut pas être consolé, la nourrice fait souvent les plus ingénieuses suppositions concernant ce jeune caractère et ce qui lui plaît et déplaît ; appelant même l'hérédité au secours, elle reconnaît déjà le père dans le fils ; ces essais de psychologie se prolongent jusqu'à ce que la nourrice ait découvert l'épingle, cause réelle de tout. Lorsque Bucéphale, cheval illustre, fut présenté au jeune Alexandre, aucun écuyer ne pouvait se maintenir sur cet animal redoutable. Sur quoi un homme vulgaire aurait dit : « Voilà un cheval méchant. » Alexandre cependant cherchait l'épingle, et la trouva bientôt, remarquant que Bucéphale avait terriblement peur de sa propre ombre ; et comme la peur faisait sauter l'ombre aussi, cela n'avait point de fin. Mais il tourna le nez de Bucéphale vers le soleil, et, le maintenant dans cette direction, il put le rassurer et le fatiguer. Ainsi l'élève d'Aristote savait déjà que nous n'avons aucune puissance sur les passions tant que nous n'en connaissons pas les vraies causes. (Alain, in Propos sur le bonheur)

Voilà plusieurs années que je bute contre "quelque chose" qui m'empêche d'être pleinement heureux. Non pas que je n'ai pas été heureux, à l'occasion. Mais ce blog en témoigne : je sacrifie l'essentiel de mon temps au doute, à la peur, à la honte, à la culpabilité, à la colère et, bien sûr, à la tristesse. Et je pense avoir trouvé la cause de cette inclination aux émotions négatives : je ne crois pas au bonheur. Ou plus exactement, je ne crois pas que je suis fait pour le bonheur. Ce n'est pas tellement, dans mon cas, un manque de considération pour moi-même, duquel je déduirais que je ne mérite pas d'être heureux. Non, c'est autre chose. Plus une question de représentation, de "scénario de vie" (Eric Berne) dans lequel je joue le héros tourmenté, aux prises aves ses démons, esclave de son désir et de ses passions. Dans ce cadre, on peut dire que tout ce que j'ai vécu jusqu'à présent a satisfait mes exigences de metteur en scène. Le bonheur, dans tout ça, n'a pas sa place, ou une place bien accessoire, parce que je ne le cherche pas vraiment. Non, il me faut du drame. Mais le drame épuise, à la longue et tandis que le temps s'en va, le bonheur possible s'amenuise. Y croire enfin, sans faux semblant, parce qu'on ne triche pas avec la vie ; sans alambic, aussi, parce que le bonheur est une chose simple, terrestre.

Souvenir du Notre Père, à la Prévert.

22.11.2012

Les briques

Il y a ce mot anglais que j'aime beaucoup : "debunking". Il signifie "démystification". Je crois que j'en suis là, aujourd'hui : reprendre ce travail que j'avais initié il y a des années et qui consiste à examiner mes schémas de fonctionnement, mes croyances, mes postulats, bref, tout ce qui constitue mon outil d'appréhension de la réalité. Déconstruire chaque brique mentale, pour que s'effondre mon mur névrotique. J'ai créé à cette fin un fichier dans lequel, chaque jour, j'analyserai une pensée, une émotion, un comportement, qui m'empoisonne la vie ou au contraire la rend plus efficace et plus heureuse.

Ce blog ne s'arrête pas pour autant, j'ai pris goût à la rédaction de ce journal, forme plus ou moins élaborée et dérivée d'autofiction.

20.11.2012

Némésis

J'ai si peu vécu que j'ai tendance à m'imaginer que je ne vais pas mourir ; il paraît invraisemblable qu'une vie humaine se réduise à si peu de chose ; on s'imagine malgré soi que quelque chose va, tôt ou tard, advenir. Profonde erreur. Une vie peut fort bien être à la fois vide et brève. Les journées s'écoulent pauvrement, sans laisser de trace ni de souvenir ; et puis, d'un seul coup, elles s'arrêtent. (Michel Houellebecq, in Extension du domaine de la lutte)

Ils vous disent : « C’est dans les temps difficiles que vous réaliserez la nécessité de Dieu. » Foi au rabais, foi d’opportuniste, foi de malade. Je vous dis, moi, que c’est précisément dans les temps difficiles que Dieu vous apparaîtra dans sa splendide vanité. Seules vos propres forces vous extirperont du gouffre dans lequel vous vous trouvez alors. Si la souffrance doit être l’occasion de la foi, c’est celle de la foi en vous-même et rien de plus. (Citation fictive)

Il n'y a rien. Dans ma chute, nul ange pour me soutenir, nulle lumière pour m'éclairer. Illusion de la foi, quelques instants, un réflexe : agiter les bras pour agripper une branche, imaginaire. Ni bon ni mauvais, l'univers se déploie, à chaque seconde, sans but. Rejoindre Lacan : quitte à être un néant, autant que ce néant soit confortable. Je rajouterais, avec Sade : n'importe aux dépens de qui. Jeanne Calment, à qui l'on demandait son secret de longévité, avait répondu l'indifférence. Indifférence aux événements, aux êtres qui passent dans votre vie et finalement, à la vie elle-même. Une grande farce, qui s'achève tôt ou tard et amuse peut-être quelque malin démiurge.

Quant à C. : satisfaction d'avoir bien joué avec elle et d'avoir réussi à lui cacher ma vraie nature. Elle n'a fait que la pressentir et aura toujours le doute, avec mes entourloupes. Elle me prend probablement pour un faible, qu'elle a sucé jusqu'au sang, en bon vampire psychique qu'elle est. Je lui souhaite de ne plus jamais croiser ma route, car si cela devait arriver, je ne ferais pas preuve de cette pitié qui m'a conduit à lui épargner la ruine.

Il y a plusieurs années, j'avais écrit un petit poème dans lequel je me dépeignais comme un loup qui se déguise en agneau, par couardise. Mais ça ne marche pas. Il n'y a rien à atteindre, rien à devenir, pas d'idéal qui vaille la peine, pas de sacrifice chevaleresque à faire pour recevoir l'onction divine. Il n'y a qu'une urgence à vivre le mieux possible, dans un monde sans qualités, gouverné par le sexe et le fric.