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19.11.2013

A petits pas (2)

Il me vient alors une terreur sarcastique de la vie, un désarroi qui dépasse les limites de mon individualité consciente. Je sais que je n’ai été qu’erreur et égarement, que je n’ai point vécu, que je n’ai existé que dans la mesure où j’ai empli le temps avec de la conscience, de la pensée. Et l’impression que j’ai de moi-même, c’est celle d’un homme se réveillant d’un sommeil peuplé de rêves réels, ou d’un homme libéré par un tremblement de terre, de la pénombre du cachot à laquelle il s’était accoutumé. (Fernando Pessoa, in Le livre de l'intranquillité)

Combien de fois peut-on se perdre en chemin ? A nouveau, le réveil, après des semaines, que dis-je, des mois, de sommeil. Je pourrais écrire un livre sur les mille et une manières de se fuir soi-même. C'est peut-être ça, la tentation. Non pas tant un vice qu'une errance, un mauvais pas de côté, plongeant l'être dans l'obscurité, l'aveuglement. Je comprends aussi la mise en garde contre l'intelligence : non point interdit du savoir, mais avertissement quant à un mésusage de la pensée, qui assèche le cœur et éloigne de soi-même, des autres, de Dieu. Je trouve le monde laid, sale, insuffisant. C'est aussi comme ça que je me décrirais. Pécheur, au fond. La grande erreur, je crois, c'est de se comparer à autrui. Je ne suis pas dans ses chaussures, j'ignore ce qu'il vit, dans l'intime de lui-même. Et puis, la vie n'est pas une course, il n'y a pas de médaille à la fin. Juste plus de lumière, de l'autre côté, qui sait, mais surtout ici-bas, après un bref passage – c'est en tout cas le pari.

11.11.2013

Le fatras

Profond désir d'ordre que je n'arrive pas à matérialiser, me sentant assailli par le monde, alors que je n'y vis pas vraiment, terré dans mon abri : comme un ailleurs lointain qui m'appelle confusément et que je ne veux pas entendre. Je subis ces derniers temps une agitation intérieure quasi-constante, même pendant mon sommeil, traversé de nombreux rêves : cette nuit encore, j'ai revu C. ; je la trouvais avec un autre homme, tandis qu'elle semblait découvrir quelque chose de compromettant à mon sujet, le tout dans un cadre étrange de vacances, en un Sud indéterminé. La revoir, s'expliquer, goûter ses lèvres à nouveau et vibrer de plaisir ensemble. Est-elle heureuse ? Pense-t-elle à moi, quelquefois ? Inutiles et pathétiques ruminations.

J'imagine parfois une vie simple, un peu rude : couper du bois, puiser de l'eau.

21.10.2013

La hargne

Plus vous serez ignoble, mieux ça ira. (Jacques Lacan, in L'envers de la psychanalyse)

Je me fais conter leur histoire et je découvre toujours que la fin de leur vie fut triste, nullement par leur faute, non ; elles semblent avoir été punies de leurs qualités : Aurore, si douce, Élisabeth, délicieuse ; Tamaïe, d'un cœur sauvage (par contre Imbertoune, autoritaire, et Marianne qui terrorisait les servantes, furent récompensées). Cela donne à réfléchir... (Sabine Sicaud, "Album de famille")

Ai revu L. ce soir. Bizarre et décevant. Les années ont passé, la magie a disparu, nous ne sommes plus que deux inconnus, liés par le fil ténu de souvenirs lointains. J'ignore ce que j’attendais de cette rencontre – comme d’ailleurs ce qu’elle en attendait. Cela faisait des semaines que la belle insistait pour que nous nous revoyions, tandis que je traînais la patte. Tout ça pour s’avachir autour d’un repas froid et échanger des banalités, avant de se quitter sans autre forme de procès. J’aurais dû m’écouter. Laisser le passé derrière soi.

Deux rêves marquants, il y a quelques jours, je ne me souviens plus dans quel ordre. Dans le premier, je tentais d’échapper aux griffes d’un démon. Une de ses mains surgissait d’un miroir posé sur une gigantesque commode et orné de motifs baroques, cherchant à m’agripper afin de m’entraîner de l’autre côté. Je cours en tout sens, mais repasse immanquablement devant ce fichu miroir. Idée d’un choix à faire. Sentiment de terreur tel que je me suis réveillé. Rétrospectivement, je crois comprendre qu’il n’y a pas d’autre démon que la part d’ombre que je refuse en moi. Dans le second rêve, je me trouve à l'intérieur d'une sorte d’école, dédale aux murs bleutés et empli d’enfants. Un temps, j’ouvre une porte blanche surmontée d’une vitre et je tombe sur C. en train d’habiller son fils ; son visage est différent, mais je sais que c’est elle. Regards, tristesse. Se remet-on jamais d’un amour perdu ? Colère, aussi. De penser que pour elle tout va bien, sans doute. Qu’elle m’a oublié. Que je n’ai pas compté pour elle comme elle a compté pour moi. Terrible malentendu de l’amour : donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en a pas besoin. Sacré Lacan.

Retour à l'éternelle conclusion : s'occuper de soi, en sculpteur égoïste et obstiné. Se fortifier tant physiquement que moralement, par vent glacé de solitude. Entrer en autarcie. Ethique de la mauvaise herbe : ne s’accrocher à rien ni à personne, mais croître en tout sens.