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23.02.2020

A petits pas (4)

 - Quelquefois je me demande ce que nous sommes en train d'attendre.
Silence.
- Qu'il soit trop tard, madame. (Alessandro Baricco, in Océan Mer)

Mais si le Diable parle parfois, Dieu se tait, toujours. Il faut trouver les réponses seul. (René Barjavel, in L'Enchanteur)

Je suis entré dans le yoga. La formule est choisie : il s'agit bien d'explorer un univers entier. Je crois avoir trouvé un guide sûr, après quelques tâtonnements. Une première découverte, comme une piqûre de rappel du Christ : point de spirituel sans incarnation. Nous ne sommes pas des créatures éthérées, nous sommes des corps, fréquemment déréglés, impatients de vibrer à l'unisson du Tout Autre. Pressentiment d'une discipline aux effets puissants, que je commence déjà à ressentir.

Et puis. Faisant halte dans une petite église de ma connaissance l'autre jour. Le bâtiment est vide. Je m'assieds timidement sur un banc et tout soudain une bouffée de tristesse me submerge : ma médiocrité, ma solitude, mon désespoir me sautent à la gorge. Mézigue au bord des larmes, la lourde porte de l'édifice s'ouvre d'un seul coup : trois personnes âgées – dont l'une d'elles ressemble au curé – rentrent bruyamment. Une dame me salue tout sourire et me lance : "on vous apporte de la lumière et du chauffage !". D'accord, Seigneur, j'arrête de m'apitoyer. Dieu se tait, toujours, mais ne parle-t-Il pas à travers d'autres plus souvent qu'à son tour ?

24.05.2017

Réminiscences

La plus grande réussite de ce monde, ce serait de demeurer parfaitement secret, à tous et à soi-même. Plus de question, plus de réponse, une longue saison, sans âge ni raison, ni responsabilité, une espèce de temps sauvage, hors du temps et de la conscience. (Anne Hébert, in Le temps sauvage)

Je suis fatigué de ce monde. Je m'y sens radicalement étranger, mieux : intrus. Chaque matin, j'endosse le joug de la normalité et je sacrifie tout le jour à la comédie sociale, ne retrouvant la liberté qu'une fois ma thébaïde regagnée. Je suis fasciné par la technique, mais au fond j'aspire à une vie simple, comme dans ce proverbe japonais qui dit à peu près ceci : "couper du bois, puiser de l'eau, quelle merveille !". J'imagine d'ailleurs ma vieillesse dans quelque cabane de montagne, loin de la folie citadine. Tiendrais-je jusque là ?

Les Parques ont décidément le sens de l'humour : au moment où je reprends pied, voilà que C., dont j'ai eu tant de mal à enfouir le souvenir – d'ailleurs ravivé il y a peu – réapparaît. Sur mon lieu de travail. J'apprends qu'elle se renseigne sur moi : à quoi joue-t-elle ? Je ne l'ai heureusement pas encore croisée. La perspective de la revoir me panique littéralement. Je lui en veux toujours du mal que nous nous sommes faits. Je lui en veux de ce que j'ai éprouvé pour elle, qui ne fut pas réciproque. Je lui en veux d'exercer, encore aujourd'hui, un tel pouvoir sur moi. Je lui en veux d'exciter en moi cette pulsion de tout foutre en l'air pour elle. Je lui en veux de ce désir impossible qui ne m'a jamais quitté.

Et puis, ce pressentiment terrible, après avoir visité mes parents : ma mère est gravement malade et nous le cache. Malaise en partant. Là aussi, jouer un rôle. Faire comme si de rien n'était, tromper l'angoisse. Après tout, ce n'est peut-être que le fruit de mon imagination tourmentée. L'inéluctable échéance n'en demeure pas moins réelle.

La poésie existe pour nous faire oublier un instant que nous sommes des animaux de boucherie.

24.10.2016

Feux follets

S'il fallait résumer l'état mental contemporain par un mot, c'est sans doute celui que je choisirais : l'amertume. (Michel Houellebecq, in Extension du domaine de la lutte)

De retour après plus de deux ans de silence. J'ai "fait du chemin", comme on dit. J'ai réussi à m'extirper de l'abîme dans lequel j'avais sombré. J'ai repris pied dans la "vraie" vie : travail, famille, amis et même, tenez-vous bien, une femme. Bref, je mène à nouveau une existence passablement "normale". Je devrais être fier de moi et je le suis, quelque part, sans pour autant être dupe de cet accomplissement : même normalisée, mon existence n'a pas plus de sens. Périodiquement, je me réveille en pleine nuit, haletant, presque pris de folie, autour de cette question du sens. Les journées s'enchaînent implacablement sans rien dévoiler de leur motif secret – s'il en est un.

Une amie chère traverse depuis le début de l'année une période très éprouvante. Profondément croyante, cette amie me confiait son désarroi face à ce dieu qui ne lui épargne aucun tourment, alors même qu'elle respecte ses commandements. Je n'ai pas osé lui répondre que l'explication la plus probable était que son dieu n'existait tout simplement pas et qu'elle devait sa pénible situation au hasard des circonstances.

Et puis. Faisant les boutiques hier après-midi, en compagnie de ma dulcinée, voilà qu'en tournant la tête, je vois une jeune femme, dans un magasin de vêtements. Au début, je n'en suis pas sûr, mais oui, elle me regarde, avec insistance. Il s'agit de C.. A peine marquée par les années passées et toujours aussi belle... J'étais tellement surpris que je n'ai pas compris l'expression de son visage : une sorte de sourire tendre, je crois. Ai-je rêvé toute cette scène ? Il m'a fallu plusieurs heures pour me remettre de cette "rencontre", sans que ma conjointe se doute de rien. Tant de souvenirs qui remontent à la surface. Et encore, malgré le temps écoulé et les blessures, ce désir violent. Mais que pourrait-il se passer entre nous à présent ?

Un drôle de goût dans la bouche.